Qu’apprendre à son chien/chiot nouvellement adopté ?

Hé bien, pas grand chose en fait. Pour traiter de cette question, il me semblait intéressant de repartir sur une théorie essentielle qui est la théorie de l’attachement.

C’est l’éthologue Konrad Lorentz en 1935 qui découvre le phénomène d’empreinte chez les oies qui consiste en la mise en place d’un lien d’attachement systématique et rapide avec le premier objet mouvant repéré par les oisons.

Bien que construit différemment en fonction des espèces, l’attachement est présent chez tous les animaux et, de fait, présent chez tous les mammifères.

Un chien roux qui lèche la main d'une femme

Le principe du « Caregiver » et les différents styles d’attachement

Le psychanalyste John Bowlby (1969) reprend les écrits de Lorentz et les adapte aux enfants, qui, selon lui, lorsqu’ils sont exposés à un danger quelconque, recherchent la proximité de leur pourvoyeur de soin, appelé aussi le caregiver (souvent un parent).
Cette recherche de proximité va avoir pour effet de créer une réponse réciproque entre les deux protagonistes avec comme double fonction d’activer le système motivationnel d’attachement de l’enfant et celui de « caregiving » de l’adulte qui vise à prendre soin.

En 1978, Ainsworth introduit la notion de « base de sécurité », pour désigner la figure soutenante et protectrice, la confiance en son accessibilité et sa disponibilité en cas de besoin, et ce à tout âge. Ainsi une relation constitue un lien d’attachement si elle remplit les quatre critères suivants : la recherche de proximité, la base de sécurité, le lieu de refuge et la détresse lors de la séparation (Ainsworth, 1991 ; Zeifman & Hazan, 2008).

Trois styles d’attachement

Ainsworth a alors pu mettre en évidence des différences dans la qualité de la relation entre l’enfant et son caregiver. Elle en identifie trois, les styles d’attachement sécure, insécure-évitant, insécure-ambivalent (Ainsworth et al., 1978), auxquels s’est rajouté le style désorganisé (Main & Solomon, 1990) :

L’attachement sécure se caractérise par l’exploration et la confiance de l’enfant envers sa figure d’attachement pour l’aider à réguler ses émotions. Il va pouvoir prendre confiance en lui et développer son autonomie et donc sa capacité à faire des choix. Lors des séparations, nous observons une recherche active de proximité. Le retour de la figure d’attachement est presque immédiatement sécurisant.
L’attachement insécure évitant : ne recevant pas de réponse sécurisante, l’enfant va se détacher et n’interagir que très peu avec sa figure d’attachement. On observera une moindre demande de réassurance considérant que, de toute façon, la figure d’attachement ne répondra pas à ses besoins. L’enfant peut alors s’isoler et expérimenter du stress et une difficulté à l’autonomisation
L’attachement insécure ambivalent : l’enfant ne sait pas vraiment si son caregiver va répondre à ses demandes de manière cohérente. On observe donc une alternance des demandes de contact et d’évitement de la figure d’attachement. Les situations de séparation provoquent alors un stress extrême et les enfants peuvent alors avoir des comportements agressifs. Ces derniers peuvent persister lors des retrouvailles avec la figure d’attachement. Cela peut emmener un sentiment de frustration et une peur du rejet et de l’abandon.
L’attachement désorganisé : ce style d’attachement est caractérisé par une absence de cohérence d’utilisation de la figure d’attachement comme base de sécurité avec des comportements contradictoires.

Les figures d’attachement sont au départ les parents mais vont se diversifier à l’âge adulte (Miljokovitch, 2001). Ces styles d’attachement vont pouvoir évoluer en grandissant grâce aux nouvelles expériences vécues (Davila, Karney & Bradberry, 1999).

Les relations d’attachement humains/chiens

De nombreux chercheurs se sont interrogés sur la question des liens d’attachement entre l’humain et le chien. En tant que gardiens, nous répondons à leurs besoins affectifs mais aussi physiques et physiologiques, un peu comme pourrait le faire un parent avec son enfant finalement (Topal & Gàcsi, 2012). Alors, sommes nous des figures d’attachement pour nos chiens ? Pour répondre à cette question, nous allons interroger les critères mis en avant par Ainsworth (1991) et Bowlby (1969) : la recherche de proximité, la base de sécurité, le lieu refuge et la détresse à la séparation.

En utilisant les mêmes protocoles (la Situation Etrange) que ceux utilisés pour mesurer l’attachement au caregiver chez l’enfant, plusieurs recherches montrent, qu’en effet, les chiens vont rechercher la proximité de leur gardien lors d’un événement vécu comme menaçant (Prato-Previde et al., 2003 ; Gásci et al., 2013). De plus, les comportements exploratoires (renifler, observer) des chiens semblent plus fréquents en leur présence (Prato-Previde et al., 2003 ; Palmer & Custance, 2007). Enfin, les chiens jouent plus longtemps seul en présence de leur gardien comparativement à lorsqu’ils sont en présence d’un étranger (Palmer & Custance, 2007).

Un labrador beige qui lèche les doigts d'une femme

Il semblerait donc qu’effectivement, les relations entre les chiens et leur humain remplissent à la fois les critères de recherche de proximité, base sécurisante et de lieu refuge. Finalement, la plus dur à investiguer reste la détresse à la séparation car, généralement, nous apprenons à nos chiens à rester seul. Cependant, quelques petits résultats peuvent être notés, comme la baisse du temps de jeu lorsque le chien est seul ou encore les attentes et reniflages des chiens devant la porte lorsque le gardien s’en va (Palmer & Custance, 2007 ; Gásci et al., 2013 ; Riggio et al., 2021).

Quels styles d’attachement pour nos chiens ?

Dans l’étude de Riggio et ses collaborateurs (2021), il semblerait qu’il se dessine entre les chiens et les humains des styles d’attachement similaires à ceux entre humains. En effet, ils retrouvent :

L’attachement sécure : on observe des comportements exploratoires en présence du gardien. Lorsque le gardien est absent, ces comportements exploratoires vont être remplacés par une recherche de proximité. Il semble plus autonome dans ses choix d’activité.
L’attachement insécure évitant : on voit ici une moindre recherche de proximité, ils ne semblent pas faire de grande différence entre leur gardien et une autre personne. On observe également une moindre exploration d’un nouvel environnement.
L’attachement insécure ambivalent : ici, le chien va rechercher activement la proximité avec son gardien sans jamais y trouver un véritable réconfort. Il va très peu explorer son environnement et, lorsqu’il le fait, cela s’arrête dès que son gardien n’est plus près de lui. il peut montrer une grande détresse lors de la séparation. On peut donc supposer qu’il y a une moindre capacité d’autonomisation chez ces chiens.
L’attachement désorganisé : ce style d’attachement est caractérisé par une absence de cohérence d’utilisation de la figure d’attachement comme base de sécurité avec des comportements contradictoires et qui paraissent inexplicables.

Conclusion : Que faire avec son nouveau chien ?

Eh bien d’abord, laissez lui du temps.

Découvrir un nouvel environnement peut être très anxiogène. Il va avoir besoin de plusieurs jours voire même plusieurs semaines pour explorer son environnement, apprendre à vous connaitre.

Passez du temps ensemble s’il le demande. Vous pouvez commencer à installer des petites routines qui pourraient être sécurisantes. Baladez vous dans des endroits faciles et donc pas dans des lieux avec des dizaines et des dizaines de stimulations différentes.

Le laisser explorer son nouvel environnement

Essayez de gérer au mieux son nouvel environnement. Un chiot par exemple peut facilement mettre les choses en gueule. Être sans arrêt en train de lui courir après, de lui demander de lâcher une chaussette (Mince ! La seule paire encore complète !) ou un papier qui traine, n’est agréable pour personne. Mettez les choses de valeur hors de portée et laissez le explorer. Offrez lui des temps de repos au calme, ces temps sont essentiels pour les apprentissages, dormez dans la même pièce que lui s’il en exprime le besoin.

Créez un environnement sécurisant où il peut y trouver de quoi se reposer, jouer, mastiquer, utiliser son cerveau et vous solliciter en cas de besoin.

Après ça (ou même en parallèle s’il est en demande), vous pouvez jouer, partager des activités ensemble voire même lui apprendre des tours pourquoi pas. Mais avant tout, soyez patient. Pendant qu’il apprend à décoder son nouvel environnement vous allez aussi apprendre à le connaitre, à appréhender ses réactions au monde qui l’entoure.

Ce temps là vous permettra de l’accompagner au mieux pendant le reste de sa vie avec vous.

Références

  • Ainsworth, M. D. S. (1991). Attachments and other affectional bonds across the life cycle. In Attachment across the life cycle (p. 33-51). Tavistock/Routledge.
  • Ainsworth M.D.S., Blehar M., Waters E., Wall S. (1978) : Patterns of Attachment. Hillsdale, NJ, Erlbaum.
  • Bowlby, J. (1969). Attachment and Loss, Vol. 1: Attachment. Attachment and Loss. New York:
  • Basic Books
  • Davila J., Karney BR. & Bradbury TM. (1999) : Attachment change process in the early years of marriage. Journal of personality and social psy- chology 76 : 783-802.
  • Gàcsi, M.; Maros, K.; Sernkvist, S.; Faragó, T.; Miklosi, A. Human Analogue Safe Haven Effect of the Owner: Behavioural and Heart Rate Response to Stressful Social Stimuli in Dogs. PLoS ONE 2013, 8, e58475.
  • Main M., Solomon J. (1990) : Procedures for identifying infants as disorganized/disoriented during the Ainsworth Strange Situation, in : M. Greenberg, D. Cicchetti, E.M. Cummings (Eds.) : Attachment in the Preschool Years : Theory, Research and Intervention. Chicago, University of Chicago Press.
  • Miljkovitch, Raphaële. (2001). 5. L’évolution des modèles internes opérants. Le fil rouge, 135-164.
  • Palmer, R.; Custance, D. (2008). A counterbalanced version of Ainsworth’s Strange Situation Procedure reveals secure-base effects in dog-human relationships. Appl. Anim. Behav. Sci.
  • Prato-Previde, E.; Custance, D.; Spiezio, C.; Sabatini, F. (2003). Is the Dog-Human Relationship an Attachment Bond? An Observational Study Using Ainsworth’s Strange Situation. Behaviour.
  • Riggio, G.; Gazzano, A.; Zsilák, B.; Carlone, B.; Mariti, C. (2021) Quantitative Behavioral Analysis and Qualitative Classification of Attachment Styles in Domestic Dogs: Are Dogs with a Secure and an Insecure-Avoidant Attachment Different? Animals, 11, 14.
  • Topál, J.; Gácsi, M. (2012) Lessons We Should Learn from Our Unique Relationship with Dogs: An Ethological Approach. In Crossing  Boundaries; Birke, L., Hockenhull, J., Eds.; Brill Academic Press: Leiden, The Netherlands; pp. 161–186
  • Zeifman, D., & Hazan, C. (2008). Pair bonds as attachments: Reevaluating the evidence.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut